Questions clés

Inégalités : « de quoi » ? Et « entre qui et qui » ?

Pour décrire les inégalités dans leur ensemble, l’Observatoire des inégalités les analyse dans chaque domaine (revenus, éducation, emploi, etc.) et compare différentes catégories de population (selon la catégorie sociale, le genre, l’âge, etc.). Notre grille de lecture expliquée en quelques mots.

Publié le 7 octobre 2022

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Pour décrire les inégalités, on peut les séparer en deux grands ensemble : « des inégalités de quoi ? » et « des inégalités entre qui et qui ? ». Premièrement, on se pose donc la question « des inégalités de quoi ? ». Souvent réduit aux revenus, le champ des inégalités est bien plus large. Il s’étend de l’éducation à l’emploi, en passant par la santé et les loisirs, etc. On parle en fait de « domaines » d’inégalités. Pour présenter nos données sur www.inegalites.fr, nous sommes contraints de ne retenir qu’un nombre limité de domaines. Nous en avons gardé quatre principaux : « revenus », « éducation », « emploi » et « conditions de vie ».

Deuxièmement, on se demande, « entre qui et qui » ? Les inégalités s’observent entre des personnes que l’on peut comparer et donc regrouper, par exemple, par âge, par genre, par métier (les milieux sociaux), etc. Il s’agit de « catégories de population ». Là aussi, tous les regroupements sont possibles. L’Observatoire des inégalités a retenu quatre grandes catégories qui se distinguent par sexe, par âge, par milieu social et par origine.

Ensuite, il faut croiser les domaines (la famille des « quoi ? ») d’un côté et les catégories de population (la famille des « qui ? ») de l’autre, pour décrire ce que l’on peut appeler un « système » d’inégalités. Comprendre les inégalités, c’est comprendre comment elles constituent un système d’ensemble où des facteurs s’entrecroisent [1]. On est une femme, mais aussi d’un âge particulier, d’un certain milieu social et d’une couleur de peau donnée. Les inégalités se cumulent. Celui qui veut observer et comprendre les inégalités doit analyser les relations entre ces domaines et ces catégories de population, et démêler leur poids respectif dans le niveau des inégalités.

Ces choix de domaines et de catégories de population influencent l’analyse des inégalités. L’important est de comprendre qu’il n’existe pas une seule grille de lecture, mais celle-ci doit être claire. Une fois notre grille de lecture élaborée, il faut en voir les limites. Certains domaines peuvent être très larges. Par exemple, les « conditions de vie » rassemblent, sur le site de l’Observatoire des inégalités, la santé, le logement, les loisirs, etc. Pourquoi l’accès à la santé est-il un sous-domaine ? Ne mérite-t-il pas de figurer au premier niveau, comme c’est le cas pour l’éducation ? De même, nos grandes catégories de population ne comprennent pas, par exemple, le handicap ou l’orientation sexuelle (ce qui ne nous empêche pas de traiter le sujet bien sûr).

La construction des catégories de population met en scène des personnes et donne lieu à de grands débats. La notion d’âge, par exemple, paraît naturelle : on est bien né une année donnée. Sauf que cette notion évolue au fil du temps. Avoir soixante ans aujourd’hui, ce n’est pas la même chose que dans les années 1950 car, entre-temps, l’espérance de vie a beaucoup progressé. La définition de catégories selon l’origine étrangère entraîne sans nul doute les plus virulentes oppositions, tant la question est complexe (voir « Faut-il des statistiques ethniques » ?). L’Observatoire des inégalités a opté pour les termes « Français et étrangers », ce qui n’est pas tellement satisfaisant non plus, une partie des immigrés n’étant pas étrangère et une partie des personnes de couleur n’étant pas immigrée. La division entre femmes et hommes est elle-même questionnable par une partie des personnes qui ne s’y reconnaissent pas.

Une fois que l’on a déterminé les inégalités de quoi et de qui, le travail n’est pas terminé. En permanence, de nouveaux domaines et de nouvelles catégories d’inégalités se créent et disparaissent. Il faut le prendre en compte. Dans les années 1960 par exemple, avoir un poste de télévision était une composante de la distinction sociale. Mais progressivement, tout le monde s’est équipé. Et c’est désormais de ne pas avoir de télévision qui distingue : le taux d’équipement est moins élevé chez les diplômés que chez les non-diplômés. Pour les premiers, faire trôner une télé au milieu de son salon est mal vu : c’est le loisir du peuple. Exit donc le fait de posséder ou non un téléviseur dans notre liste des inégalités ! Avant la montée du chômage, à la fin des années 1970, avoir un statut de fonctionnaire, était plutôt un handicap, en termes de revenus, désormais c’est un avantage majeur, en termes de garantie d’emploi.

Résumons. Pour mieux comprendre les inégalités, on peut séparer les inégalités « de quoi » et « entre qui et qui ». Mais le découpage des catégories est une opération complexe, qui impose de faire des choix. Encore faut-il en permanence vérifier que les choix sont adaptés.

Extrait de Comprendre les inégalités, Louis Maurin, éd. Observatoire des inégalités, 2018.

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[1Aujourd’hui, certains parlent « d’intersection ».

Date de première rédaction le 7 octobre 2022.
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