Point de vue

Un centre pour observer la société française

Mieux comprendre la société française est indispensable, mais les éléments manquent. Pour tenter d’y voir plus clair, la société Compas, partenaire de longue date de l’Observatoire des inégalités, ouvre un Centre d’observation de la société.

Publié le 30 septembre 2011

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Revenus Emploi Éducation Modes de vie

L’écart qui se creuse entre la représentation de la société et les comportements sociaux a des conséquences dramatiques. Comment expliquer autrement, par exemple, le rejet croissant de la « classe » politique traditionnelle et la montée de l’extrême droite ?
Il est urgent de se donner des outils pour mieux comprendre la société française. La société nantaise Compas, spécialiste de l’observation territoriale, et partenaire de l’Observatoire des inégalités, a décidé de créer le Centre d’observation de la société (www.observationsociete.fr) : un outil au service d’une meilleure compréhension.

La France « vue d’en haut » n’est pas celle qui est vécue au quotidien par l’immense majorité de la population. Elle n’est ni une France moyennisée qui s’expose tous les jours sur son Facebook et qui skie tous les ans en février, ni une France paupérisée marquée par « l’explosion des inégalités et de la pauvreté ». Sur dix Français, neuf ont un diplôme inférieur à bac + 2, quatre ne partent pas en vacances et trois n’ont pas d’accès à Internet...

Une vision polarisée

De très nombreuses raisons expliquent la difficulté actuelle à comprendre notre société. Le système statistique français n’est pas à la hauteur, incapable de fournir des données récentes dans de nombreux domaines, et de les délivrer de façon intelligible. C’est ainsi qu’aujourd’hui, les données détaillées sur la télévision - pourtant le premier loisir des Français - appartiennent à une société privée, Médiamétrie. Des pans entiers de l’analyse de la société sont laissés quasiment à l’abandon : des dizaines de chercheurs travaillent sur la pauvreté, l’immigration ou l’école, mais une poignée sur la consommation, les revenus ou la stratification sociale. La concentration des pouvoirs dans la capitale polarise la vision des élites, coincée entre la plus grande richesse et les cités délabrées… La rapidité d’exécution croissante du travail journalistique conduit très souvent à une simplification des phénomènes sociaux. Le recours démesuré aux sondages induit une vision éphémère des comportements. C’est de cette façon que le débat politique, traité comme une course de chevaux rythmée par les sondages, alimente à son tour l’éloignement des citoyens du politique.

Le catastrophisme fait vendre

Si l’on veut avancer dans la compréhension, il faut éviter trois écueils. Le premier est de sortir des phénomènes de mode. De nombreux intellectuels ont intérêt à vendre la « révolution permanente » de la société française, mettant en avant les « ruptures ». C’est ainsi qu’après la modernité tout court, on a eu droit à la « post », la « sur » ou « l’hyper-néo » modernité… On a inventé hier la « moyennisation », et aujourd’hui on peut vendre « la fin des classes moyennes »… Pour s’en dégager, il est impératif de prendre du recul, d’élargir les perspectives. Le deuxième écueil est celui de la dramatisation. Qu’il s’agisse de l’état de l’école, de l’intégrisme des cités ou de l’explosion de la pauvreté… le catastrophisme est aussi une manière de susciter l’audience en jouant sur l’anxiété de citoyens, mais ne permet pas de comprendre la société. Le troisième écueil est la nostalgie de la société d’hier. Pour beaucoup, l’idéal d’aujourd’hui ressemble à la société des années 1960. Où le maître d’école, le curé et le père de famille avaient encore tous les pouvoirs. Idéaliser le passé permet de rassurer ceux qui vieillissent et s’apprêtent à laisser la place à d’autres, puisqu’ils quittent un monde qui se dégrade.

Eviter ces obstacles ne signifie pas que la France ne change pas, qu’elle ne connaît pas de grandes difficultés sociales ou que toute transformation sociale soit bonne à prendre. Ainsi, par exemple, l’autonomie croissante des individus, par exemple l’émancipation des femmes, est un immense progrès. Mais cet individualisme rencontre ses limites quand il consacre la liberté du plus fort au détriment du plus faible.

Mettre les données sur la table

Sans fétichisme du chiffre, il devient indispensable de mettre sur la table des données structurelles pour sortir de la rhétorique française où chacun se paie de bons mots. Ce qui permet à tout le monde d’avoir raison en même temps, faute de pouvoir être départagé par les faits… Ce travail est déjà celui d’un certain nombre de chercheurs français qui tentent de dégager des transformations sociales structurelles, dont une partie figure au conseil scientifique du Centre d’observation de la société. Il est aussi réalisé chaque année par un certain nombre d’organisations indépendantes, comme la Fondation Abbé Pierre sur la question du logement, les Secours populaire et catholique pour la pauvreté, et bien d’autres. Il est enfin bien sûr celui de l’Observatoire des inégalités dans son domaine.

Le Centre d’observation de la société a vocation à traiter un champ plus large – la société ne se résume pas aux inégalités – mais d’une façon plus modeste : il se concentrera sur la fourniture d’outils factuels et laissera à d’autres médias les analyses et points de vue. On trouve sur le site du Centre d’observation de la société la mise en perspective d’éléments d’actualité par des études de fond, la présentation des principales tendances sociales à l’œuvre depuis la Seconde guerre mondiale [1]. Des cartes illustrent la répartition des principaux phénomènes sociaux sur le territoire. Enfin, un guide des sources d’information (publications et organismes) et un glossaire guident l’internaute. L’objectif est de construire, avec des moyens modestes, un outil le plus accessible possible au grand public, de produire des éléments nécessaires à un débat démocratique plus riche.

Louis Maurin

Directeur de l’Observatoire des inégalités et du Centre d’observation de la société. Auteur de « Déchiffrer la société française », La découverte, 2009.

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[1Quel que soit le jugement que l’on puisse porter sur ses analyses, c’était le projet porté par le groupe réuni autour d’Henri Mendras, décédé en 2003. Voir Louis Dirn, La Société française en tendances (1975-1995), PUF, coll. « Sociologie d’aujourd’hui », Paris, 1998 (2e éd.)

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Date de première rédaction le 30 septembre 2011.
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