Proposition

Réduire les inégalités : sept mesures urgentes du quinquennat

Un nouveau quinquennat s’ouvre pour les politiques publiques, dans un contexte de fortes tensions sociales. Les inégalités persistent et menacent la cohésion de la société française. Noam Leandri, président de l’Observatoire des inégalités, propose sept mesures au président de la République.

Publié le 17 mai 2022

https://www.inegalites.fr/Reduire-les-inegalites-sept-mesures-urgentes-du-quinquennat - Reproduction interdite

Modes de vie Revenus Logement Santé Pauvreté

L’orientation du nouveau quinquennat dépendra du résultat des élections législatives de juin. Chacun et chacune d’entre nous doit se mobiliser pour peser sur les programmes qui vont modeler l’avenir de notre pays. La question des inégalités est centrale. L’injustice nourrit des tensions sociales énormes et un rejet massif envers les plus favorisés qui, alors que le pays est à la peine, continuent à vivre de mieux en mieux. Le chantier est immense. On peut distinguer sept dossiers urgents, très concrets, pour lesquels des mesures rapides sont possibles et pourraient être mises en œuvre dans les cinq années qui viennent.

1- Éradiquer la pauvreté avec un revenu minimum garanti

Le thème du pouvoir d’achat s’est imposé pendant la campagne présidentielle, renforcé par la hausse des prix de l’énergie et des produits alimentaires consécutive à la guerre en Ukraine. Pourtant, l’inflation ne touche pas les foyers de manière homogène, notamment parce que les plus modestes ont davantage de dépenses contraintes, tandis que les riches se portent à merveille. Au fond, la question du pouvoir d’achat est d’abord un problème d’inégalité de répartition des revenus.

Une première mesure doit être de relever les bas revenus et les minima sociaux pour éradiquer la pauvreté, en mettant en place un revenu minimum unique équivalent au seuil de pauvreté fixé à 50 % du niveau de vie médian. Le montant du revenu de solidarité active (RSA) ne représente qu’à peine plus de la moitié de ce seuil de pauvreté et enferme ceux qui n’ont pas d’autre choix dans l’extrême pauvreté. La garantie d’un revenu minimum au-dessus du seuil de pauvreté représente un coût d’environ neuf milliards d’euros par an. La France en a les moyens.

Par ailleurs, la hausse du salaire minimum est une première réponse à la pauvreté qui touche plus d’un million de personnes qui travaillent. Ce ne devrait pas être à l’État, à travers la prime d’activité, d’apporter aux salariés ce que leur employeur devrait leur donner. Enfin, la fiscalité des revenus a un rôle à jouer pour réduire les écarts entre les hauts et les bas revenus : l’imposition sur les tranches de hauts revenus doit être accrue, pour une redistribution en faveur des moins bien lotis.

2- Garantir une égalité des chances en taxant la fortune et en investissant dans l’école

Les 10 % les plus fortunés détiennent la moitié du patrimoine en France. Les inégalités se perpétuent de génération en génération et font obstacle à l’égalité des chances. Depuis la Révolution française, la fiscalité de l’héritage vise justement à corriger cette inégalité. Certes, le temps du deuil n’est pas le meilleur moment pour réclamer une taxe. Toutefois, c’est un moment propice pour connaitre l’intégralité du patrimoine d’un individu. Un consensus semble s’être malheureusement établi pour alléger la fiscalité de l’héritage au sein de la famille proche. Il faut alors – en contrepartie – taxer davantage le patrimoine tout au long de la vie en établissant un impôt plus juste que l’actuel impôt foncier et que l’impôt sur la fortune immobilière. Concrètement, il s’agirait de remplacer ces deux impôts par un impôt progressif sur le patrimoine, tant financier qu’immobilier, dès le premier euro.

Les recettes ainsi dégagées doivent aller au principal levier de l’égalité des chances : l’école. Car le système scolaire français se singularise aujourd’hui par une forte reproduction sociale. L’écart de niveau entre les élèves issus d’un milieu favorisé et ceux issus d’un milieu défavorisé est parmi les plus élevés selon les enquêtes internationales. Nous devons investir plus dans l’éducation des générations futures en revalorisant les salaires des enseignants et en augmentant leur nombre. Contre l’échec scolaire, nous devons aussi, par exemple, développer davantage dès le collège les activités manuelles et techniques qui permettront de valoriser un champs plus large de compétences, et non seulement les savoirs plus abstraits, pratique qui favorise les enfants de diplômés.

3- Combattre les discriminations avec une tolérance zéro et supprimer les discriminations légales

Nous ne manquons pas de données sur les discriminations, qu’elles soient liées à l’origine, au sexe, au handicap ou à l’âge, que ce soit dans l’emploi ou le logement (voir notre site discrimination.fr). Cependant, très peu de ces pratiques illégales sont sanctionnées. Les tests de discriminations à l’embauche ou dans l’accès au logement doivent être systématisés et les contrevenants doivent être poursuivis. Il en est de même de l’index d’égalité dans les entreprises [1], qui doit être davantage contrôlé. Cela implique de rétablir et de développer des moyens dans les inspections du travail.

La loi doit aussi montrer l’exemple. Plusieurs discriminations légales persistent en France : les étrangers non européens n’ont pas le droit de vote aux élections alors qu’ils payent leurs impôts. Cinq millions d’emplois restent légalement fermés aux étrangers non européens, essentiellement des emplois publics et les professions libérales règlementées (santé, droit).

4- Réduire les inégalités face à la retraite

Un homme cadre peut espérer vivre six ans de plus qu’un ouvrier. Un ouvrier sur six décède avant 60 ans. Ces inégalités résultent à la fois d’inégalités de santé et d’une différence importante de pénibilité du travail. Une réforme juste du système des retraites doit tenir compte de la pénibilité réelle des postes. Il est impératif de renoncer à la retraite à 65 ans pour tous, profondément injuste. Plutôt qu’un âge légal uniforme, c’est une durée de cotisation unique qui doit être appliquée. Ainsi, celui qui aura commencé à travailler à 15 ans partira à la retraite dix années avant celui qui a fini ses études à 25 ans. Il faut y ajouter un système de bonus pour les métiers les plus durs physiquement.

5- L’accès de tous aux soins

Il s’agit aussi de corriger les inégalités de soins selon le niveau de vie. Les personnes modestes se soignent moins car le « reste à charge » est souvent un frein. La mutuelle obligatoire pour les salariés a permis globalement un meilleur remboursement mais, en pratique, il reste de fortes inégalités entre salariés, selon la contribution de l’employeur, mais surtout entre salariés et non-salariés. Les indépendants, les retraités et les personnes sans emploi sont beaucoup moins bien remboursés, sauf à payer très cher une complémentaire santé. La reprise en main par la Sécurité sociale des cotisations d’assurance santé complémentaire et l’unification dans un système de « grande sécurité sociale » permettraient un accès aux soins plus égalitaire entre les assurés [2]. Une telle réforme économiserait cinq milliards d’euros de frais de gestion des mutuelles grâce à une administration unique et permettrait de financer un relèvement et une harmonisation du remboursement des frais de santé.

6- Réduire le mal-logement grâce à un choc de logement social

La France compte quatre millions de mal-logés car nous ne construisons et ne rénovons pas assez de logements pour répondre à la croissance de la population. La flambée des prix du logement est la conséquence de cette rareté. Elle bénéficie au final aux 3,5 % des ménages qui détiennent la moitié des logements mis en location par des particuliers [3].

Pour accroitre l’offre de logements abordables, notre meilleur outil est le logement social. Plus de deux millions de ménages sont en attente d’un tel logement. À l’inverse de ce qui a été fait les cinq dernières années, il faut donner aux bailleurs sociaux les moyens de construire et de racheter des biens du parc privé. Pour porter l’offre à 150 000 logements sociaux par an, les aides à la pierre [4] devraient augmenter de quelques centaines de millions d’euros. C’est beaucoup moins que les milliards d’euros des nombreux dispositifs (Denormandie, Pinel, etc.) qui accordent des réductions d’impôts aux particuliers qui investissent dans l’immobilier pour louer ensuite.

7- Traiter les inégalités écologiques, à commencer par la précarité énergétique

Les plus vulnérables sont les plus affectés par les dégradations environnementales, que ce soit la pollution de l’air, de l’eau ou les effets du changement climatique. C’est d’autant plus injuste que ce sont ceux qui contribuent le moins à la dégradation de l’environnement. Par exemple, les 10 % les plus aisés produisent la moitié des gaz à effet de serre alors qu’à l’inverse, les 10 % les plus pauvres – plus frugaux – sont responsables de deux fois moins d’émissions que les 10 % les plus riches [5].

Les politiques publiques qui visent à réduire la pollution touchent plus durement les plus modestes. On pense aux interdictions des vieux véhicules qui favorisent les ménages qui ont les moyens de se payer un véhicule neuf ou, encore, à la taxe carbone qui pénalise les foyers éloignés des transports en commun à cause des prix de l’immobilier, et aussi ceux qui habitent dans une passoire thermique.

La transition écologique ne pourra pas se faire sans justice sociale. Le plus urgent est d’éliminer la précarité énergétique pour permettre à la fois de maitriser la consommation d’énergie et de réduire le budget contraint des ménages modestes. Pour ce faire, il faut un service public de repérage et d’accompagnement conséquent, mais aussi des aides suffisantes pour couvrir le coût des travaux de rénovation énergétique.

Le second chantier concerne la fiscalité verte qui devra respecter le principe constitutionnel de progressivité pour demander plus à ceux qui ont plus. C’est-à-dire les moins sobres d’entre nous. Une hausse du prix des énergies fossiles (essence ou gaz) est nécessaire pour afficher le vrai prix du carbone, mais cette hausse ne doit pas pénaliser davantage les plus modestes. Une modulation en fonction du train de vie est nécessaire. Cela passe soit par l’impôt, soit par des méthodes plus élaborées de compte carbone individuel [6].

Sept mesures urgentes contre les inégalités, c’est peu et beaucoup à la fois. Elles n’ont pas vocation à répondre à tous les enjeux auxquels a à faire face notre société, mais elles permettraient de changer durablement le visage de la France, en modernisant un pan entier de l’action publique et en refondant notre fiscalité. La majorité qui sortira des urnes en juin doit saisir à bras le corps le sujet des inégalités qui détruisent notre pacte social, au-delà des postures politiciennes, pour répondre concrètement aux besoins exprimés par la population. Le temps est compté.

Noam Leandri, président de l’Observatoire des inégalités

7 actions pour le nouveau président de la République
Chantier
Mesure
1PauvretéRelever les bas salaires et les minima sociaux au-dessus du seuil de pauvreté
2Inégalité des chancesTaxer le patrimoine pour investir dans l’école
3DiscriminationsSanctionner systématiquement les discriminations et supprimer les discriminations légales
4Inégalités de santéÉgaliser le remboursement des soins par une Sécurité sociale universelle
5Inégalités face à la retraiteÉtablir un droit à la retraite en fonction de la durée de cotisation
6Mal-logementConstruire et rénover des logements sociaux en masse
7Justice écologiqueÉliminer la précarité énergétique et fixer une fiscalité verte progressive

Source : © Observatoire des inégalités

Photo / © Observatoire des inégalités


[1Depuis 2019, les entreprises de plus de 50 salariés doivent calculer et communiquer un index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Une sanction équivalente à 1 % de la masse salariale peut être infligée par l’inspection du travail si l’entreprise n’atteint pas le score de 75 points ou si l’index n’est pas publié.

[2Voir également le « Rapport du HCAAM, Quatre scénarios polaires d’évolution de l’articulation entre Sécurité sociale et Assurance maladie complémentaire », Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, janvier 2022.

[3Voir « 24 % des ménages détiennent 68 % des logements possédés par des particuliers », in France, portrait social, Insee, novembre 2021.

[4Les aides à la pierre désignent les subventions accordées aux logements sociaux agréés par l’État. Leur montant dépend du niveau de loyer exigé : plus le loyer est bas pour les ménages plus modestes, et plus l’aide est importante. Une partie de ces aides est financée par les contributions des organismes HLM.

[5Voir « L’empreinte carbone des ménages français et les effets redistributifs d’une fiscalité carbone aux frontières », Paul Maillet, Policy Brief n° 62, OFCE, janvier 2020.

[6Les émissions de gaz à effet de serre seraient limitées à un quota identique pour chaque individu.

Aidez-nous à offrir à tous des informations sur l’ampleur des inégalités

Notre site diffuse des informations gratuitement, car nous savons que tout le monde n’a pas les moyens de payer pour de l’information.

L’Observatoire des inégalités est indépendant, il ne dépend pas d’une institution publique. Avec votre soutien, nous continuerons de produire une information de qualité et à la diffuser en accès libre.


Je fais un don
Date de première rédaction le 17 mai 2022.
© Tous droits réservés - Observatoire des inégalités - (voir les modalités des droits de reproduction)

Sur ce thème