Analyse

Rapport sur les riches en France : pour que la connaissance progresse

La seconde édition du Rapport sur les riches en France fixe le seuil de richesse à 3 673 euros. Elle décrit la fraction de la population qui vit au-dessus de ce seuil. Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, vous présente l’ouvrage qui vient de paraitre.

Publié le 1er juin 2022

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Revenus Riches Niveaux de vie Patrimoine

Être riche, c’est avoir « beaucoup ». « Beaucoup », c’est combien ? Toute définition de la richesse – comme de la pauvreté – repose sur des choix de méthode. En France, personne n’aime être qualifié de « riche ». Chacun voit midi à sa porte et trouve que les riches sont ceux dont le niveau de vie est supérieur au sien. C’est vrai : hormis Bernard Arnault et une poignée d’ultra-riches, on est toujours le pauvre d’un autre. Au fond, les indicateurs de richesse, comme de pauvreté, sont le résultat de rapports de force entre les catégories sociales. Personne ne peut dire qu’il détient la vérité en matière de définition de la richesse. L’important est qu’il existe un débat informé sur le sujet.

Nous cherchons à faire progresser l’information en appelant un chat un chat, en employant le mot « riche » quand il nous semble justifié. Quitte à faire grincer quelques dents. Le mot « pauvre » n’indispose personne, mais celui de « riche » ne laisse pas indifférent. Surtout chez ceux dont les revenus sont supérieurs au seuil de richesse que nous utilisons. Au fond, ce refus d’être qualifiées de « riches » en dit long sur ces catégories. Si elles n’assument pas cette position dans la hiérarchie des revenus, n’est-ce pas parce qu’elles doutent de leur légitimé à s’y situer ? Il est vrai qu’en France fortune et diplômes se transmettent souvent au fil des générations, sans que le mérite personnel n’explique tout.

Il est grand temps d’avancer sur ce sujet. Nous proposons de fixer un seuil de richesse équivalent au double du niveau de vie médian, soit 3 673 euros par mois pour une personne seule ou 5 500 euros pour un couple, après impôts. 4,5 millions d‘individus sont concernés, soit 7 % de la population. Si une personne qui touche davantage que 93 % du reste de la population n’est pas « riche », comment peut-on alors la qualifier ? Si certains préfèrent le mot « aisé », plus doux à leurs oreilles, ils peuvent l’employer. Libre à chacun de penser qu’on est pauvre quand on touche moins de 2 000 euros par mois ou riche à partir de 10 000 euros. Il faut juste l’argumenter.

Deux éclairages

Notre premier Rapport sur les riches en France, publié en 2020, a connu un large succès. Nous avions alors posé les bases du débat sur le sujet : il s’agissait d’une première en France. Cette seconde édition va plus loin. Elle décrit la richesse dans notre pays de manière plus complète, qu’il s’agisse des revenus ou du patrimoine. Elle propose deux éclairages complémentaires : l’un sur la question des héritages, l’autre sur la manière dont les riches se distinguent par leurs modes de vie.

Cet ouvrage ne recherche pas le sensationnalisme. Nous ne ciblons pas une frange étroite d’hyper-riches sur lesquels on peut facilement se défouler. Nous décrivons, bien sûr, les plus hautes fortunes de notre pays, qui atteignent des niveaux indécents. Nous calculons par exemple que Bernard Arnault, le PDG du luxe, pourrait s’offrir tous les logements de la ville de Marseille. Mais penser que la répartition des richesses se résume au combat des 99 % d’en « bas » contre le 1 % du haut de la pyramide, comme le dit le plus souvent la gauche française, est démagogique. Derrière quelques PDG ultra-riches, s’abrite toute une partie de la population, qui montre du doigt l’étage supérieur des revenus, tout en profitant de l’insécurité sociale subie par les catégories populaires.

Il est regrettable que l’Observatoire des inégalités soit quasiment le seul organisme en France à travailler sur le sujet et à en discuter plus en détail. L’institut public en charge de la statistique ne juge pas pertinent de se poser la question, alors qu’en Allemagne un seuil de richesse est publié depuis 20 ans. Si tel était le cas en France, l’Observatoire des inégalités n’aurait pas besoin d’éditer le nouveau rapport qui parait aujourd’hui. Certes, l’équipe du World Inequality Database, réunie autour de l’économiste Thomas Piketty, a fait progresser la connaissance des revenus du haut de l’échelle au plan international, mais les données, ainsi que les études sociologiques, manquent dans notre pays. Seuls quelques chercheurs isolés [1] se posent la question du seuil de richesse. L’immense majorité des commentateurs se satisfont d’appeler « riche » une poignée d’ultrafortunés.

Les données sur les revenus sont lacunaires en France. Il manque notamment une part importante des revenus du patrimoine, et l’Insee ne diffuse pas d’éléments précis sur le haut de l’échelle des revenus. Il manque aussi de très nombreux éléments pour décrire de manière fine comment, par leurs modes de vie, ces classes aisées se distinguent du reste de la population.

La richesse monétaire est composée de deux grandes dimensions qui se complètent, le revenu et le patrimoine, qu’il faudrait pouvoir associer, et non étudier seulement de manière séparée. Être riche à 25 ans n’a pas la même signification qu’à 45 ans, vivre avec 3 700 euros par mois n’est pas la même chose quand on habite à Paris ou à Charleville-Mézières. Et la richesse n’est pas seulement monétaire : un bon diplôme et un statut d’emploi pérenne constituent aujourd’hui deux éléments qui permettent de se distinguer du reste de la population. Nous développons dans ce rapport ce qui permet d’aller plus loin dans la compréhension des limites d’un seuil unique de richesse, comme nous le faisons pour le seuil de pauvreté (lui-même rarement remis en cause), mais un travail plus vaste de recherche devrait être mené.

Notre rapport doit servir d’abord à nourrir un débat informé et apaisé, contre le brouhaha des invectives qui circulent sur les réseaux sociaux. Il doit aussi au fond servir à se poser la question de la justice et du mérite. La richesse n’est pas un mal en soi : ce qui pose question, c’est le mérite de ceux qui en sont là, comparé à celui de la France qui se lève tôt, travaille dur pour des salaires misérables. Est-on vraiment si sûr que l’écart entre le monde des cadres et celui de leurs subordonnés soit « juste », par exemple ? Pourquoi la pénibilité physique, les compétences manuelles en général sont-elles si mal récompensées, contrairement aux emplois de bureau ? Si l’on veut refonder la solidarité, tous ces éléments doivent être mis sur la table.

Notre rapport a pour vocation d’ouvrir les yeux sur ce qu’est la France d’aujourd’hui. La cécité de la droite, mais aussi de la gauche (obnubilée par son « 1 % » le plus riche), est colossale. Beaucoup refusent de voir qu’une partie bien plus large qu’on le dit de la population s’enrichit aujourd’hui, en veut « encore plus [2] » et refuse de démocratiser l’école pour préserver les privilèges de ses enfants. Cet égoïsme de classe attise un énorme sentiment d’injustice chez ceux qui sont exclus du progrès économique et de l’école, quitte à ce que parfois leur haine se déverse sur les boucs émissaires qu’on leur présente, les étrangers, eux-mêmes pourtant encore davantage victimes de la gourmandise des riches. Si une forme de solidarité globale, à tous les échelons de la société, n’est pas mise en œuvre, ces tensions ne pourront que s’accroitre et se répercuter encore dans les urnes, comme dans la rue.

Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités

Illustrations / © Corinne Veron-Durand et Benjamin Mispoulet pour l’Observatoire des inégalités

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Rapport sur les riches en France, seconde édition – 2022
Sous la direction d’Anne Brunner et Louis Maurin, édition de l’Observatoire des inégalités, juin 2022.

10 € hors frais d’envoi.
Également disponible en version numérique à télécharger.
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[1Voir par exemple « High Incomes and Affluence : Evidence from EU-Silc », Veli-Matti Törmälehto, in Monitoring Social Inclusion in Europe, 2017 edition, Eurostat, 2017.

[2Voir Louis Maurin, Encore plus ! Enquête sur ces privilégiés qui n’en n’ont jamais assez, éd. Plon, mars 2021.

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Date de première rédaction le 1er juin 2022.
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