Point de vue

Pauvreté et inégalités, le retour

Inégalités de revenus et pauvreté repartent à la hausse. Cela tient à la fois au contexte économique, et grandement, aux décisions politiques. Si rien n’est fait pour mieux protéger les plus précaires, la crise causée par la Covid-19 aura un impact considérable. Le point de vue de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 9 septembre 2020

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Revenus Pauvreté Niveaux de vie

Nous n’avons pas l’habitude à l’Observatoire des inégalités de commenter les variations des inégalités et de la pauvreté d’une année sur l’autre. Elles sont le plus souvent trop faibles pour qu’on puisse y lire un effet significatif. Mais les données 2018 publiées par l’Insee marquent une inflexion trop forte pour qu’on ne s’y arrête pas. Le taux de pauvreté au seuil de 50 % du niveau de vie médian passe de 8 % à 8,4 % en un an. Le nombre de pauvres augmente de 250 000. Le rapport entre la masse des revenus perçue par les 10 % du haut de l’échelle et les 40 % d’en bas passe de 1,06 à 1,12. Ce n’est pas une explosion des inégalités mais, comme le souligne l’Insee, la remontée est nette.

Cette situation résulte du changement de majorité en 2017 qui, à peine au pouvoir, a favorisé les premiers de cordée au détriment des derniers. Baisse des allocations logement d’un côté et baisse des impôts des plus aisés de l’autre. Avec en particulier un changement du mode de taxation des revenus financiers particulièrement avantageux [1] (lire notre article).

Deux éléments à noter tout de même. D’un côté, les locataires de l’habitat social ont obtenu une baisse de loyer en contrepartie de la baisse des allocations logement. D’un autre côté, les premières données de l’Insee ne disent presque rien des plus hauts revenus. « Celui [le revenu ndlr] des ménages les plus aisés augmente nettement », livre l’Insee dans sa synthèse. Il faut dire que le niveau de vie moyen des 10 % les plus riches a progressé de près de 5 % pour la seule année 2018. Soit un bonus de 2 900 euros sur l’année après impôts, ou encore 240 euros par mois.

Et depuis 2018 ? Il faut distinguer deux choses : l’avant et l’après Covid-19. Avant, la majorité a mis la pédale douce sur les avantages aux plus aisés. Les mesures prises suite aux manifestations des « gilets jaunes » (hausse de la prime d’activité) et la baisse de la taxe d’habitation ont sans doute relevé le niveau de vie des classes moyennes.

Pour les plus pauvres, le gouvernement a trié entre les « bons » et les « mauvais ». Les bons, ce sont les plus âgés et les handicapés dont les minimas ont été sensiblement augmentés (d’environ 800 en 2017 à 903 euros en 2020). Potentiellement, ces montants se situent aujourd’hui au-dessus du seuil de pauvreté fixé à 50 % du niveau de vie médian. Ce qui devrait jouer à la baisse en matière de pauvreté et d’inégalités de revenus. Mais l’élévation du niveau de vie moyen et la faible hausse des autres minima sociaux conduisent inversement à un décrochage des plus pauvres et à une hausse des indicateurs. Le résultat est incertain.

L’impact du confinement est devant nous. Le chômage progresse fortement. Un grand nombre de départements observent fin août une augmentation de l’ordre de 10 % des allocataires du revenu de solidarité active par rapport au début de l’année 2020. Alors que la France a collectivement consacré des milliards pour maintenir les salaires du privé (avec le chômage partiel) et du public, le plan de relance de 100 milliards d’euros présenté en septembre ne propose que des miettes pour soulager les difficultés des plus pauvres.

Un gouffre s’est installé entre la situation sociale et la politique d’un gouvernement aveugle. En plein été, alors que les files de chômeurs s’allongeaient, la majorité n’a rien trouvé de mieux que de réduire l’impôt sur les donations des plus aisés, leur permettant de transmettre sans être imposés 100 000 euros à chacun de leurs enfants, à condition que ces sommes soient investies dans leur entreprise ou leur maison. Si l’emploi ne repart pas énergiquement dans les mois qui viennent, la situation sera particulièrement tendue et la majorité en portera la responsabilité. La France est suspendue à l’action des entreprises : si elles n’embauchent pas rapidement, si elles engrangent en profits les 10 milliards annuels que le gouvernement leur cède, alors il faut s’attendre à une recrudescence des tensions.

Une tendance de long terme

Cette remontée des inégalités et de la pauvreté s’inscrit dans une tendance plus longue. Le taux et le nombre de pauvres augmentent depuis le début des années 2000. Si l’on prend le point bas de 2002, le nombre de pauvres au seuil à 50 % a progressé de 1,4 million, soit + 35 %. Le taux de pauvreté, qui était tombé sous les 7 %, a grimpé à 8,3 % en 2018. Les catégories les plus démunies du pays décrochent par rapport au niveau de vie médian pourtant en stagnation. La France est entrée dans une période longue de marasme économique. Depuis bientôt 20 ans, toutes les politiques économiques ont été tenues en échec. Les baisses d’impôts et du coût du travail en particulier ont plombé les finances publiques sans pour autant soutenir l’activité. Même la baisse du chômage que l’on ressentait à partir de 2016 n’a guère eu d’effet, en partie parce qu’il ne s’agit souvent que de morceaux d’emplois flexibles et mal rémunérés. Entre 2008 et 2018, le niveau de vie plafond des 10 % les plus pauvres a reculé de 11 % si l’on ne prend pas en compte les prestations sociales : seul notre modèle social a permis d’éviter une crise majeure. En dépensant, heureusement, « un pognon de dingue ».

Les inégalités de revenus, elles, progressent par vague. Pour le mesurer, nous retenons le ratio le plus intéressant, dit « de Palma » : il rapporte la masse des revenus qui va aux 10 % les plus aisés à celle qui va aux 40 % les plus pauvres. À la fin des années 1990 il était de 1. Les 10 % d’en haut touchaient à eux seuls l’équivalent de l’ensemble des revenus des 40 % d’en bas. 20 ans plus tard, ils reçoivent 1,12 fois la masse des revenus des 40 % les plus modestes. Ce « 0,12 » supplémentaire représente des milliards d’euros perçus en plus par les plus aisés au fil des années. Il signifie que le partage de la richesse, qui jusque dans les années 1980 se faisait de façon de plus en plus équitable, l’est de moins en moins. Les plus riches sont gourmands, même dans les périodes de crise, et il leur est donné en conséquence. Cela n’a pas toujours été vrai : la période de 2011 à 2013 a été marquée par une réduction assez nette des inégalités du fait de prélèvements en hausse sur les plus aisés.

Cette hausse des inégalités résulte de très nombreux facteurs. Qui tiennent au marasme économique durable. Qui dépendent de données démographiques, en particulier de la progression du nombre de familles monoparentales. Mais aussi beaucoup de choix politiques : la déréglementation progressive du marché du travail d’un côté et les baisses d’impôts (sauf entre 2011 et 2013) de l’autre, ont fait le jeu des plus forts.

Photo / © Kieferpix


[1Au lieu d’être imposés de façon progressive comme les revenus du travail, les revenus du capital sont soumis depuis 2018 à un taux d’impôt forfaitaire.

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Date de première rédaction le 9 septembre 2020.
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