Analyse

Les inégalités mondiales de revenus diminuent

Depuis vingt ans, les inégalités de revenus reculent entre habitants de la planète. Un mouvement paradoxal alors que les inégalités tendent à s’accentuer au sein de nombreux pays. Une analyse d’Anne Brunner.

Publié le 26 avril 2022

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Revenus Niveaux de vie

Les inégalités de revenus au niveau mondial tendent à diminuer depuis les années 2000, selon les données du Word Inequality Database (WID) concernant la part du revenu global qui va au dixième le plus riche. En 2000, les 10 % les plus riches du monde recevaient à eux seuls une masse dix fois plus grande de revenus que l’ensemble des 50 % les plus pauvres. Ce rapport est descendu progressivement jusqu’à 7,7 en 2020. Cette baisse ramène l’inégalité des revenus à son niveau de 1960.

Les années 1960 et 1970 ont été marquées par une forte progression des inégalités mesurées à l’échelle globale. Le rapport entre la masse des revenus perçue par les 10 % les plus riches et celle des 50 % les plus pauvres monte de 7,7 à 10,7 points en 1980, le plus haut atteint en 60 ans. La moitié la plus pauvre de l’humanité ne perçoit plus 6 %, comme en 1970, mais seulement 5 % de l’ensemble en 1980, tandis que les 10 % les plus riches démarrent leur progression, passant de 54 % à 56 % des revenus mondiaux au cours de la même décennie.

À partir de 1985, l’indicateur d’inégalités globales de revenus se stabilise : les 10 % les plus riches captent environ dix fois plus que l’ensemble des 50 % les plus pauvres. Les plus riches continuent pourtant leur progression : ils atteignent une part record de 61 % de l’ensemble des revenus en 2000. Mais les 50 % les plus pauvres ont regagné le petit point qu’ils avaient perdu au cours des années 1970.

Le début des années 2000 semble marquer un tournant. Les inégalités de revenus reculent entre les habitants de la planète pour revenir à leur niveau de 1960. Les 10 % les plus riches voient leur part diminuer de 60 % à 55 % de l’ensemble des revenus, tandis que la part des 50 % les plus pauvres connait une très modeste progression, de 6 % à 7 %.

Au fil des décennies, la richesse globale a augmenté, si bien que le niveau de vie des plus pauvres s’est élevé aussi. L’extrême pauvreté et la faim dans le monde ont reculé, ce sont des avancées cruciales. L’accès à l’école et l’espérance de vie ont progressé, ainsi que les conditions de vie en général. Pour autant, la part de la moitié la plus pauvre de l’humanité dans les revenus globaux a peu évolué.

Les évolutions les plus sensibles en termes de partage des revenus se sont jouées à l’intérieur de la moitié la plus riche de la population mondiale. Les 40 % situés entre les 50 % du bas et les 10 % du haut de l’échelle des revenus, ont suivi une évolution inverse de celle de la courbe des 10 % les plus riches. Leur part a régressé entre 1970 et 2000, de 40 % jusqu’à son point le plus bas, à 33 %. Puis, elle a repris aux 10 % les plus riches le terrain qu’elle avait perdu, pour revenir en 2020 au niveau des années 1980, aux alentours de 38 %.

La baisse des inégalités globales de revenus au cours des 20 dernières années est une bonne nouvelle. Ces données montrent un rapprochement progressif entre les revenus des habitants des pays les plus riches et ceux des pays émergents, tout particulièrement les plus peuplés, la Chine et l’Inde. Pour autant, cette tendance n’empêche pas qu’au sein de nombreux pays, les inégalités de revenus continuent de progresser : les écarts s’agrandissent entre les riches et les pauvres à l’intérieur de la population chinoise et entre les habitants des États-Unis, par exemple. Mais ils se réduisent entre une moitié pauvre de l’humanité prise dans son ensemble et une classe riche de plus en plus internationale. Cette dernière comprend désormais les plus riches Chinois, aux côtés des habitants aisés d’Amérique du Nord et d’Europe. En 60 ans, le monde a beaucoup changé : il s’est enrichi et la population a été multipliée par 2,5. Les populations des pays émergents ont connu une croissance démographique plus forte que celles des pays les plus riches. En 1960, les 10 % les plus riches du monde étaient composés presque exclusivement d’Américains et d’Européens favorisés. Les 50 % les plus pauvres comprenaient une grande majorité des habitants d’Asie. Aujourd’hui, la moitié la plus pauvre vit principalement en Asie du Sud et en Afrique subsaharienne, tandis que la population chinoise aisée est devenue majoritaire au sein des 50 % les plus riches du monde.

Lointaine prospérité

Plusieurs éléments amènent à tempérer notre conclusion d’une baisse des inégalités mondiales depuis 20 ans. Le découpage de l’humanité en seulement trois tranches de revenus comme présenté ici reste grossier. Il comprend notamment une première moitié de la population mondiale gigantesque : 2,5 milliards d’adultes aujourd’hui dont les situations sont très hétérogènes. En son sein, d’autres phénomènes peuvent échapper à l’analyse. On ne mesure pas ici comment évolue le rapport entre des populations qui accèdent à la classe moyenne, en Inde ou en Chine par exemple, et des populations dont l’extrême dénuement persiste. Il ne faut pas oublier que les données statistiques sont très approximatives dans les pays les plus pauvres, et qu’elles peinent à mesurer la réalité de la vie quotidienne de populations parfois démunies de tout.

De même, la tranche des 10 % d’en haut est vaste. Elle comprend près de 800 millions d’habitants, plus de douze fois la population française ! La diminution de sa part dans l’ensemble des revenus ne nous dit rien de l’évolution du sommet de l’échelle des revenus. La part perçue par le 1 % le plus riche du monde a connu une envolée, de 17 % de l’ensemble des revenus en 1983 à 21 % en 2000. Cette part a légèrement reculé après 2008, mais s’est maintenue à un niveau très élevé (19 % en 2020, selon les données du WID).

Ces données nuancent une vision parfois caricaturale des grandes évolutions mondiales de niveau de vie et du développement dans le monde. Elles ne doivent pas faire oublier que le niveau des inégalités demeure extrême sur le globe, et que les plus pauvres ne retirent qu’une portion congrue des revenus. 800 millions de personnes souffrent encore de la faim dans le monde. Près de 850 millions n’ont pas accès à l’eau potable. 150 millions d’enfants travaillent. Ces populations sont encore fragilisées par les conflits et l’accaparement des richesses au niveau national par les élites économiques et politiques. Le chemin vers la prospérité mondiale est encore très long.

De nouveaux indicateurs globaux
Pour mesurer les inégalités de revenus globales, on considère la population mondiale comme un seul ensemble. Le statisticien classe tous les habitants du monde, à la queue leu leu, du plus pauvre au plus riche, puis les sépare en trois classes : les 50 % les plus pauvres, les 10 % les plus riches et ceux qui sont situés entre ces deux catégories.

L’exercice apporte des conclusions qui n’ont rien d’intuitif. S’il est déjà difficile de se situer en termes de revenus par rapport à ses voisins au sein de son propre pays, il est encore plus complexe de percevoir comment évoluent les populations et leur niveau de revenus à l’échelle de la planète. Pour lire ces données nouvelles, on gardera en tête qu’elles constituent des ordres de grandeur indicatifs. La prudence est de mise, d’autant plus lorsqu’il s’agit de séries qui remontent à plusieurs décennies.
Revenus avant impôts et prestations sociales.

Source : World Inequality Database – © Observatoire des inégalités

Graphique Données
Revenus avant impôts et prestations sociales.

Source : World Inequality Database – © Observatoire des inégalités

Graphique Données
Revenus avant impôts et prestations sociales.

Source : World Inequality Database – © Observatoire des inégalités

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Photo / CC Christie Kim Wiemns Ma Hos

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Date de première rédaction le 26 avril 2022.
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