Synthèse

Le tableau de bord de la pauvreté en France 2018

Comment évolue la pauvreté en France ? Qui concerne-t-elle ? Peut-on s’en sortir ? Le tableau de bord de la pauvreté en France, par Anne Brunner. Extrait de notre premier Rapport sur la pauvreté en France.

Publié le 11 octobre 2018

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Revenus Pauvreté

Depuis dix ans, le nombre de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté en France augmente. Cette aggravation est l’un des phénomènes les plus marquants parmi les évolutions analysées par l’Observatoire des inégalités. En considérant une définition restrictive, c’est-à-dire le seuil de pauvreté situé à la moitié du revenu médian (855 euros par mois), le nombre de personnes pauvres a augmenté de 600 000 en dix ans, de 4,4 millions à 5 millions. Au cours de la même période, le taux de pauvreté est passé de 7,3 % à 8 % de l’ensemble de la population. La décennie 2000, et plus encore la crise déclenchée en 2008, ont marqué un retournement historique de la tendance : la pauvreté ne diminue plus en France.

Si l’on se réfère au seuil de pauvreté à 60 % du niveau de vie médian (1 026 euros par mois) – seuil le plus souvent utilisé dans le débat public –, alors, c’est avec près de 9 millions de personnes pauvres qu’il faut compter en France (voir encadré). Ce chiffre a augmenté de 820 000 au cours des dix dernières années.

Combien de pauvres en France ?
Seuil de pauvreté
en euros par mois
Nombre de personnes
Taux de pauvreté
en %
Seuil de pauvreté à 40 % du niveau de vie médian6842,2 millions3,5
Seuil à 50 % 8555,0 millions8,0
Seuil à 60 %1 0268,8 millions14,0

Source : Insee – Données 2016 – © Observatoire des inégalités

Ce rapport ne fait pas apparaître une explosion de la misère. Notre modèle social a pour partie amorti le choc. Bien mieux que dans les pays anglo-saxons ou, plus récemment, qu’en Allemagne. La France est le grand pays d’Europe où le taux de pauvreté et la persistance de celle-ci sont les plus faibles. Pour autant, le retournement est significatif, car il s’inscrit dans une histoire longue de diminution du taux de pauvreté, particulièrement marquée dans les années 1970 et 1980.

Il faut bien comprendre ce dont nous parlons. Le seuil de pauvreté est déterminé en fonction du niveau de vie médian. La mesure de la pauvreté en Europe n’est pas absolue mais relative. Le seuil de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian d’aujourd’hui est deux fois plus élevé, après inflation, que dans les années 1970. Une augmentation de la pauvreté traduit un écart croissant entre le bas et le milieu de la hiérarchie des revenus : c’est une sorte d’indicateur des inégalités de revenu « par en bas ».

Ce qui se passe aujourd’hui dans les sociétés occidentales n’est pas un appauvrissement massif des plus pauvres, mais une augmentation du nombre de personnes qui décrochent du niveau de vie des classes moyennes. Ces milieux les plus modestes accèdent de moins en moins aux standards de vie, et en particulier de consommation, qui sont les plus courants. Cet écart est d’autant plus pesant que la valeur d’égalité constitue l’un des piliers de notre République d’un côté, et que la pression à consommer est énorme, de l’autre.

Des signes d’amélioration existent. Entre 2013 et 2016, le taux de pauvreté s’est stabilisé. Le nombre de pauvres a baissé de 100 000 au seuil à 50 % et de 200 000 au seuil à 60 %. Les données sur les revenus ont deux années de retard. Que peut-on penser de ce qui s’est passé depuis 2016 ? L’activité économique est repartie et le chômage a diminué, c’est encourageant. On a de bonnes raisons de penser, sinon que la situation s’est améliorée, du moins qu’elle ne se détériore plus au niveau global. Allons-nous vers une stabilisation de la pauvreté ?

Cet optimisme doit être mesuré : ainsi, en 2017, la diminution du nombre d’allocataires du revenu de solidarité active (RSA), que nous avions constatée depuis fin 2015, s’est arrêtée. Un mauvais signe. Pour l’heure, la tendance est plutôt à une croissance atone, qui stabilise la pauvreté mais ne permet pas de créer suffisamment d’emplois. De plus, si la pauvreté se stabilise, c’est en partie lié au fait que les revenus des classes moyennes stagnent.

Nous entrons dans une phase d’incertitude dont on peut sortir par le haut à deux conditions : que l’activité et l’emploi redémarrent mais surtout que cette croissance soit mieux partagée, qu’il s’agisse des salaires comme des normes d’emploi. Pour éviter que les tensions s’accroissent encore plus entre les milieux sociaux, les politiques publiques doivent être garantes de ce partage.

Ce rapport ne porte pas seulement sur la pauvreté monétaire telle qu’elle est classiquement définie. Bien d’autres manières, que nous explorons, permettent d’appréhender ce phénomène et la diversité des situations. Des données non monétaires permettent d’établir les niveaux des privations qui excluent une partie des membres de notre société de consommation. 7,6 % de la population déclare ne pas pouvoir s’acheter une deuxième paire de chaussures faute de moyens. 4,8 millions de personnes ont dû faire appel à l’aide alimentaire en 2015. Près de quatre millions de personnes sont mal logées, soit que leur logement est très dégradé, soit trop petit, ou qu’elles n’ont pas de domicile personnel.

La pauvreté ne s’arrête d’ailleurs pas aux privations matérielles et peut prendre bien d’autres formes d’exclusion. 18 % des Français de plus de 15 ans n’ont pas de diplôme ou seulement le certificat d’études. Dans une société qui a fortement promu la démocratisation de l’éducation et l’accès aux études, être dépourvu de titre scolaire représente un handicap de plus en plus lourd sur le marché du travail. La France compte 7 % d’illettrés parmi les 18-65 ans : ils ne maitrisent pas suffisamment l’écriture, la lecture ou le calcul pour être autonomes dans la vie courante. Près d’une personne sur quatre subit le mal-emploi. Elle est soit au chômage, soit en emploi précaire ou encore est trop découragée pour chercher activement un emploi.

La pauvreté ne frappe pas au hasard

Contrairement à un discours commun selon lequel la dégradation serait généralisée à tous les milieux – la crise serait partout –, la pauvreté ne frappe pas au hasard. Même si la peur de la pauvreté ou du chômage s’étend, une large partie de la population française est à l’abri. Nous consacrons une partie de ce rapport à décrire qui sont les pauvres.

On oublie en effet trop souvent de mettre un visage sur les catégories les plus démunies. En première ligne, les plus jeunes sont les plus touchés par l’augmentation de la pauvreté. Si l’expression « enfants pauvres » est trompeuse, plus d’un enfant sur dix vit sous le seuil de pauvreté du fait des bas revenus de ses parents. On oublie plus encore les jeunes adultes de 20 à 29 ans, dont 11,8 % sont pauvres, souvent les peu diplômés en difficulté d’insertion professionnelle. Chez les adultes, le taux de pauvreté des employés est 4,5 fois plus élevé que celui des cadres supérieurs. Et le taux de pauvreté des non-diplômés est trois fois supérieur à celui des diplômés d’un bac + 2. L’augmentation du chômage, l’extension des contrats précaires et du temps partiel subi, l’alternance entre périodes d’emploi et de chômage ont fait le lit de la pauvreté pour une minorité de la population, qui subit comme une double peine, à la fois la privation matérielle et les exigences de flexibilité des mieux installés.

Portrait de la pauvreté en France
Part dans la population pauvre
en %
Vivent dans une famille monoparentale25
Ont au plus un CAP67
Ont moins de vingt ans35
Habitent dans les grandes villes et leurs banlieues67
Au seuil de pauvreté à 50 % du revenu médian. Lecture : 25 % des personnes pauvres vivent dans une famille monoparentale.
Source : Insee – Données 2015 – © Observatoire des inégalités

Quels enseignements tirer du constat que nous faisons ? Cela signifie-t-il que notre modèle social est bien peu efficace contre la pauvreté ? Assurément non. Rappelons tout d’abord que les prestations sociales permettent à plus de cinq millions de personnes d’échapper à la pauvreté. Sans le système de protection sociale, tel qu’il existe et avec tous ses défauts, ce ne serait pas 14 % mais 22 % des Français qui vivraient sous le seuil de pauvreté (à 60 % du niveau de vie médian). Notre système développé de prestations sociales et familiales, auquel il faut ajouter notamment le rôle fondamental de l’habitat social et des services publics gratuits, permet à beaucoup de personnes très modestes d’éviter la misère et la rue. La France est l’un des pays d’Europe qui a le taux de grande pauvreté (à 40 % du niveau de vie médian) le plus bas : 3,1 % de la population est concernée selon Eurostat en 2015, contre une moyenne européenne de 6,4 %. Si notre modèle social ne réussit pas à protéger une part importante de nos concitoyens du manque ou de la précarité, elle contient tout du moins la grande misère mieux qu’ailleurs.

Il est une réalité humaine que nos statistiques ont du mal à saisir : la pauvreté ne réduit pas les individus à la seule dimension monétaire. La pauvreté n’est pas une caractéristique essentielle qui collerait à la peau d’une partie défavorisée de la population. Selon l’Insee, la moitié des personnes pauvres une année reste pauvre l’année suivante. Cette part est de 30 % au bout de trois ans et de 20 % au bout de quatre. Le terme de « pauvreté » désigne des situations très différentes : pour certains, une pauvreté qui dure et marque la santé et les capacités d’épanouissement, pour d’autres, un moment plus conjoncturel. Les deux phénomènes coexistent dans notre pays. En France, en 2015, seuls 2,4 % de la population sont pauvres et l’avaient été au moins deux années au cours des trois années précédentes. Seuls les pays scandinaves font mieux à cet égard en Europe.

Le modèle social français, contrairement à de très nombreux discours, fonctionne. Depuis 2013, on note des signes d’amélioration. On en a plus qu’ailleurs pour notre « pognon ». Cela ne signifie en rien qu’il faille s’en contenter. Il existe bien une pauvreté structurelle, notamment chez les personnes âgées, handicapées ou très peu qualifiées qui ont peu de moyens de sortir de la pauvreté. L’objectif de rapprocher les milieux les plus modestes d’une norme moyenne doit demeurer un pilier des politiques publiques. Chacune de ces situations appelle des mesures adaptées. Comme l’affirment Denis Clerc et Michel Dollé en titre de leur ouvrage [1], « Réduire la pauvreté » est un « défi à notre portée ».

Pourquoi nous avons opté pour le seuil à 50 % et non à 60 %
Le simple choix d’un seuil de pauvreté à 50 % ou à 60 % du niveau de vie médian fait passer de 5 à 9 millions le nombre de personnes pauvres. Le seuil de pauvreté à 60 %, qui dépasse les 1 000 euros mensuels pour une personne seule, prend en compte des situations sociales très hétérogènes, qui vont de ce que l’on appelait il y a quelques années le « quart-monde » jusqu’à des milieux sociaux que l’on peut qualifier de « très modestes ». Pour l’Observatoire des inégalités, ce mélange de situations sociales très différentes entretient la confusion. Dans le Rapport sur la pauvreté en France, chaque fois que les données sont disponibles, nous avons opté pour le seuil de pauvreté à 50 % plutôt que pour celui à 60 %. Quand nous utilisons le seuil à 60 % faute de mieux, nous le signalons.

Anne Brunner
Photo / © Fertnig


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Rapport sur la pauvreté en France, Observatoire des inégalités et Compas, éd. Observatoire des inégalités, octobre 2018.
96 pages.
ISBN 978-2-9553059-5-9
En téléchargement gratuit. Ouvrage imprimé : 10 € hors frais d’envoi

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[1Réduire la pauvreté, un défi à notre portée, Denis Clerc et Michel Dollé, Les petits matins, 2016.

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Date de première rédaction le 11 octobre 2018.
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