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La politique possible pour tous

Les inégalités sociales face à la politique sont considérables. Pour les réduire, on peut améliorer le fonctionnement du système en recourant au référendum, en limitant les mandats ou en facilitant l’accès des moins favorisés aux mandats. Par Nicolas Framont, sociologue à l’université Paris-Sorbonne.

Publié le 19 avril 2017

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Modes de vie Lien social, vie politique et justice


Ce texte est extrait de l’ouvrage ’Que faire contre les inégalités ? 30 experts s’engagent’, sous la direction de Louis Maurin et Nina Schmidt, édition de l’Observatoire des inégalités, juin 2016, 120 p., 7,50 €.
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En France, les citoyens ne sont pas égaux face à la politique. Tout d’abord, il existe une inégalité en termes de participation : les ouvriers et les employés, qui sont aussi les moins diplômés et les moins riches, sont de moins en moins présents dans les partis politiques et votent de moins en moins. Trop souvent, l’abstention est expliquée sous le prisme moral, comme un manque de civisme. Cette explication ne tient pas la route longtemps : la plupart des enquêtes montrent que les Français sont très loin d’être indifférents aux affaires publiques. En revanche, ils ressentent de plus en plus de défiance envers leurs institutions et la classe politique dans son ensemble.

Démocratiser l’accès à la vie politique

Il est d’ailleurs logique que la moitié la moins favorisée de la population soit la plus réticente à participer au jeu électoral : les ouvriers et les employés sont ceux qui ont le plus pâti des politiques menées depuis vingt ans par la droite comme par la gauche, qui ont organisé une redistribution des richesses du bas vers le haut. Cela a sans doute à voir avec le fait que les principaux bénéficiaires de ces politiques sont aussi les plus représentés dans nos institutions. L’inégalité de représentation dans la vie politique signifie que, selon votre milieu social, vous ne serez pas représenté de la même manière dans les instances décisionnelles de la République. Les classes supérieures sont très largement présentes parmi les élus et la classe politique au sens large : 81 % des députés sont cadres et professions intellectuelles supérieures alors que seulement 3 % d’entre eux sont ouvriers ou employés (sachant que cette catégorie sociale regroupe plus de la moitié de la population française !).

Les solutions qui visent à « forcer » la participation électorale des citoyens sont illégitimes et improductives : le vote obligatoire par exemple, qui pénaliserait l’abstention, contribue à faire passer celle-ci pour une question individuelle et morale, dédouanant au passage les institutions. Or, c’est d’abord celles-ci qui devraient évoluer pour mettre fin à la défiance populaire dont elles sont l’objet.

Réformer les institutions

Au niveau institutionnel, on peut réduire les inégalités face à la politique en cessant tout d’abord de croire aveuglément en la démocratie représentative : quand la grande majorité des élus sont de classes supérieures, il est hasardeux de penser que ces derniers peuvent représenter les intérêts de toute la population. Partant de ce constat, il faut faire en sorte que les citoyens puissent prendre part à la décision publique sans déléguer entièrement leur pouvoir à des élus qui les représentent de moins en moins. Cela implique de vraies mesures, et pas des assemblages cosmétiques : la « démocratie participative » telle qu’elle est pratiquée par certaines municipalités pour compenser la perte de légitimité des élus est un remède pire que le mal. En effet, lorsque vous confiez un pourcentage du budget public à une minorité des habitants volontaires, vous avez de grandes chances que ces volontaires soient aussi les plus aisés et ceux qui ont le plus de temps. Cette minorité, encore moins légitime que les instances élues, ne fait que représenter une seconde fois les classes supérieures. Afin d’être réellement démocratiques, les mesures d’implication des citoyens doivent être contraignantes et décisionnelles.

On peut par exemple constitutionnaliser le recours aux référendums. Le dernier référendum national en date, celui de 2005, a été un succès en termes de mobilisation des citoyens, toutes catégories sociales confondues. En posant une question directe à la population, on peut sortir des jeux politiques, ceux qui consistent à arbitrer entre plusieurs candidats et ainsi court-circuiter les logiques de monopolisation du pouvoir politique par les classes supérieures.

Surtout, pour briser ces logiques, il faut renouveler la classe politique et en démocratiser l’accès. Il faudrait, pour commencer, que les mêmes ne monopolisent pas les mandats sur la durée : il faut absolument en interdire une bonne fois pour toutes le cumul, mais aussi limiter le nombre de mandats possible. Ensuite, il est impératif de reconditionner le versement des indemnités. Actuellement, les compensations financières que touchent les élus sont indépendantes des revenus ou du patrimoine dont ils disposent par ailleurs. On peut être riche et toucher en plus une indemnité très confortable, ce qui augmente encore plus le décalage financier entre nos élus et la majorité des citoyens – sans compter le fait qu’en cumulant des mandats, on en cumule aussi les indemnités ! Enfin, il est très compliqué pour un salarié de se présenter à des élections et d’occuper un poste. C’est pourquoi les politiques français sont généralement avocats, médecins, hauts fonctionnaires ou chefs d’entreprise. Le droit du travail doit impérativement contraindre les entreprises à faciliter la carrière politique de tout citoyen, de façon à ne plus réserver la politique à ceux dont la profession permet les aménagements nécessaires pour briguer et occuper un mandat.

Changer les organisations partisanes

Ces quelques mesures sont toutefois difficiles à mettre en place dans le contexte actuel. D’abord, parce que ceux qui seraient en capacité de le faire sont juges et parties : la classe politique actuelle n’a aucun intérêt à remettre en cause ses revenus et ses places. Et, même en cas d’ouverture d’accès aux mandats, encore faudrait- il que des partis politiques y portent des candidats de classes moyennes ou populaires. Or, cela semble pour le moment très improbable : les organisations politiques françaises ont été désertées d’une partie des classes moyennes et de toutes les classes populaires. Le Parti socialiste est composé à environ de 50 % de cadres et professions intellectuelles supérieures quand ouvriers et employés n’en constituent que 12 %. Le niveau d’éducation y est très élevé puisque 64 % des adhérents sont titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur contre 25 % dans la société. Mais c’est aussi le cas de toutes les organisations politiques françaises, du Front national au Nouveau parti anticapitaliste.

L’évolution du programme politique de nos partis y est pour beaucoup. La question sociale, qui intéressait tout particulièrement les ouvriers et les employés, a été délaissée au profit d’une vision gestionnaire de la société (pour les grands partis) ou de combats identitaires et symboliques (pour tous). Par conséquent, les organisations politiques ont valorisé les militants les plus diplômés, faisant monter ceux qui maîtrisent les compétences technocratiques dans un monde politique qui, depuis les années quatre-vingt, est décrit comme voué à gérer le système plutôt qu’à le questionner et le modifier.

On ne résoudra donc pas les inégalités face à la politique sans s’intéresser à la question des inégalités sociales, parce qu’elle est indispensable à la réflexion sur l’égalité d’accès à l’exercice de la politique, condition même de la démocratie. Dans une société où une part croissante de la population est précarisée, menacée par le chômage, contrainte à travailler plus longtemps ou de manière imprévisible, on ne peut attendre qu’elle puisse exercer réellement ses droits. Cette société les laisse être monopolisés par les plus riches et les plus stables, ceux qui sont maîtres de leur temps et qui ne sont pas inquiets de leurs revenus.

Tant que nous dépendrons d’un système économique qui requiert la précarisation de la population salariée, voire prône la fin de ses protections les plus élémentaires, il est vain de croire que quelques aménagements institutionnels et de nouvelles formes de mobilisation politique comme celles permises par Internet vont pouvoir inverser durablement la tendance de la marginalisation politique des classes moyennes et populaires. La montée continue de l’abstention, la baisse de la syndicalisation, l’exclusion permanente des classes populaires des partis politiques montrent en fait que l’expansion des privilèges économiques, scolaires et symboliques des classes possédantes est incompatible avec la démocratie.

Nicolas Framont, auteur de Les citoyens ont de bonnes raisons de ne pas voter, avec Thomas Amadieu, Le bord de l’eau, 2015.

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Date de première rédaction le 19 avril 2017.
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