Analyse

L’expérience des inégalités au travail

Quelles sont les inégalités perçues comme justes et comme injustes dans le monde du travail ? Une analyse d’un groupe de réflexion dirigé par François Dubet, professeur de sociologie à l’université de Bordeaux 2.

Publié le 20 septembre 2006

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Emploi Catégories sociales Conditions de travail

Quelles sont les inégalités perçues comme justes et comme injustes dans le monde du travail ? Les seules inégalités sociologiquement pertinentes étant celles que les acteurs perçoivent comme injustes, deux grandes questions se posent. Quels sont les principes de justice qui conduisent à percevoir telle ou telle inégalité comme injuste ? Quelles sont les situations sociales qui engendrent ces sentiments d’injustice ?

L’hypothèse de départ est fondée sur l’idée selon laquelle les travailleurs construisent leurs sentiments d’injustice en fonction de trois grands principes de justice : l’égalité, le mérite et l’autonomie [1]. Ces trois principes étant contradictoires entre eux, ils engendrent une dynamique normative constituant les jugements des acteurs. Cette recherche s’efforce de décrire et d’analyser ces processus et de comprendre ainsi les dimensions morales de l’expérience du travail aujourd’hui.

Pour répondre à ces questions, nous avons recueilli trois grands types de matériau auprès de la population au travail en laissant volontairement de côté les chômeurs. Le premier est l’analyse de 260 entretiens individuels réalisés auprès d’une population globalement représentative du monde du travail. Le second est l’analyse de 1 144 questionnaires recueillis auprès de travailleurs dans la région de Bordeaux. Le troisième est l’analyse de onze entretiens collectifs auprès de groupes de travailleurs homogènes afin de saisir les modes d’argumentations croisés des acteurs.

Un monde du travail injuste

L’analyse de ces différents matériaux d’enquête montre que les raisons d’aimer son travail l’emportent largement sur celles de le détester et la place du travail dans la société et la vie des individus n’est pas près de se réduire. Mais le fait d’aimer son travail n’éteint pas la critique des injustices qui s’y développent ; parfois même, plus on aime son travail, plus on est critique.

Au nom de l’égalité, deux grandes familles de critiques se dégagent. La première dénonce les conduites de « caste » et le déni du respect de base dû à des égaux : les distances sociales sont vécues comme blessantes et irrespectueuses : « ceux d’en haut », les cadres, les diplômés, les riches, traitent « ceux d’en bas » comme une humanité inférieure, comme des personnes qui n’auraient ni les mêmes besoins, ni les mêmes aspirations que les autres, comme des travailleurs indignes, invisibles et interchangeables. À des degrés divers, ce sentiment d’injustice-là se diffuse et s’étend à toute la structure sociale. Il atteint les diplômés déclassés, la plupart des femmes, les employés des grandes organisations dont les « rangs » ne sont pas respectés, les travailleurs manuels, ceux qui sont au service d’autrui.

Le second type de critique est sensiblement différent. Il dénonce moins l’inégalité des positions sociales elles-mêmes que l’inégalité des chances permettant aux individus d’accéder équitablement à la « lutte des places ». Ce sont les « challengers », les femmes, les migrants et les jeunes, qui s’inscrivent dans une logique dite libérale de l’égalité. Ainsi, le monde du travail apparaît-il injuste à double titre : d’une part des inégalités de castes se superposent aux inégalités fonctionnelles tenues pour normales, d’autre part, l’égalité initiale à l’entrée dans la division du travail n’est pas assurée. Le principe du mérite entraîne aussi un ensemble de critiques relativement distinctes. La plus violente reste celle de l’exploitation issue d’un sentiment de profond déséquilibre entre les contributions et les rétributions et, plus encore, celle provoquée par le fait que ce déséquilibre serait une spoliation. Ce sentiment émerge particulièrement chez les ouvriers dont les conditions de travail sont les plus dures et chez ceux dont le revenu est directement et quotidiennement indexé sur leurs performances. Ensuite, le mérite se mesure au plus proche et quand les individus se comparent entre eux, le principe du mérite ouvre alors une chaîne continue de frustrations relatives engendrant un monde de jalousies et d’envies. Enfin, tous soupçonnent les épreuves qui mesurent le mérite : favoritisme, persécutions, passe-droit. Mais la vigueur de ces critiques n’efface pas l’emprise du principe du mérite et l’on dénonce toujours et partout la négation du mérite par l’organisation du travail. Ainsi, en dépit de son apparente clarté et de son emprise, le principe du mérite est-il un des moins stables qui soit. Le mérite est-il la bonne volonté ou la performance, comment articuler notamment le mérite professionnel et le mérite scolaire ?

La majorité des travailleurs trouvent de l’intérêt à leur travail, ou, plus exactement, trouvent dans leur travail quelque chose qui les intéresse : la responsabilité, le métier ou les relations. L’autonomie repose sur une valorisation du travail comme tel et développe une critique dont la mesure est le sentiment d’auto-réalisation du sujet. Cette norme strictement subjective entraîne, elle aussi, une double critique. D’un côté, les travailleurs accusent le travail stupide, aliénant, destructeur en s’inscrivant ainsi dans une tradition de la dénonciation du travail machinal et épuisant. D’un autre côté, les travailleurs dénoncent les ruses d’une autonomie exacerbée et utilisée comme un mode d’appropriation de la liberté de chacun par les dirigeants des entreprises. « Vieille » critique de l’aliénation et critique du « nouvel esprit » du capitalisme s’entremêlent constamment.

Des classes sans société

Alors que l’on avait imaginé des sociétés sans classes, nous sommes aujourd’hui confrontés à des classes sans société ; les travailleurs sont engagés dans des rapports de domination perçus comme des rapports de classes, mais, à la différence de la société industrielle, ces classes là ne forment plus une société capable de former des identités, des appartenances et des relations collectives stables.

À l’exception des chefs d’entreprise et des ouvriers les plus mal traités dont les jugements de justice s’opposent de manière assez tranchée, ce qui n’est pas rien, il n’est guère possible d’interpréter directement les sentiments de justice en termes de classes sociales. Ce ne sont pas les rapports de domination de classes qui disparaissent, c’est plutôt la société de classes ; plus exactement, c’est la société industrielle moderne telle que nous avons longtemps aimé nous la représenter. Le déclin de la représentation de la vie sociale en termes de société de classes ne crée pas nécessairement des clivages radicalement nouveaux mais il les fait émerger à la conscience des travailleurs. Non seulement les écarts de revenus sont élevés au sein de chaque catégorie sociale, mais les conditions de travail sont extrêmement variables et jouent un rôle déterminant dans le sentiment d’être plus ou moins bien traité. Évidemment, plus on est en bas de la hiérarchie sociale et plus on a de chances que ces facteurs s’accumulent, mais ceci ne caractérise pas la condition de tous les ouvriers et de tous les employés peu qualifiés, alors que des catégories moyennes en sont largement affectées.

En définitive, le sentiment d’injustice se forge au plus près des conditions de travail et des relations sociales qui s’y développent. Un grand nombre d’injustices sont alors attribuées aux individus plus qu’au système. On peut aussi ajouter que le type de management et d’organisation du travail pèse sur la nature même du sentiment d’injustice dans la mesure où il fixe la structure de la critique. Chaque univers de travail possède, lui aussi, sa propre grammaire des sentiments d’injustice sans que l’on puisse immédiatement la corréler avec une position dans la structure sociale.

Mais ces critiques construites au plus près sont éclairées par le spectacle du monde offert par les médias qui élargit considérablement le champ de la comparaison et permet de se confronter à ceux qui sont le plus éloignés.

Deux principaux clivages transversaux aux appartenances de classe contribuent à la dispersion des sentiments d’injustice. Le premier est relatif au genre. La plupart des femmes pensent subir des injustices en tant que femme, soit en termes de discriminations et d’inégalités, soit en termes de regards dévalorisants portés sur soi. Bien que les femmes mobilisent les mêmes principes de justice que les hommes, il n’est pas certain qu’elles les combinent de la même manière en fonction des activités qui leur sont réservées et surtout, en raison de la division sexuelle du travail et des contraintes de la vie professionnelle et familiale Le second concerne la ségrégation raciale et le racisme qui sont vécus de manière plus violente et plus injuste parce que le racisme dans la société et au travail impose aux individus des identités qu’ils ne revendiquent pas nécessairement ou qu’ils n’affirment parfois que pour résister aux effets destructeurs du stigmate.

Les niveaux de protection et de précarité associés aux statuts d’emploi introduisent un profond clivage au sein de chaque groupe social. Les plus exposés aux risques dénoncent volontiers les privilèges des protégés alors que ceux-ci justifient ces protections comme des acquis, voire comme les avantages normaux de professions identifiées aux services publics, à l’intérêt général et la nation. Notre enquête met en évidence la force d’une critique qui n’est certainement pas réductible aux relents d’un « poujadisme » anti-fonctionnaires.

En raison du long désajustement des diplômes et des emplois offerts, les déclassements scolaires se sont développés et il existe aussi une sorte de clivage entre ceux qui entrent dans l’emploi conformément aux attentes diffusées par le système scolaire, et ceux qui ont l’impression de chuter. Il se pose alors un problème de justice qui occupera sans doute une place croissante, celui des relations entre le mérite scolaire et le mérite professionnel. La conception des injustices et des inégalités au travail se développe dans une représentation de la société bornée par ceux qui sont au-dessus et ceux qui sont en dessous de la société des égaux. Au-dessus des patrons, des chefs, des collègues, des usagers ou des clients qui provoquent les injustices auxquelles réagissent les travailleurs, se tient une élite dirigeante de plus en plus abstraite et éloignée. En dessous de la société se tiennent tous ceux qui n’en feraient plus vraiment partie : les pauvres, les exclus, les chômeurs de longue durée, les assistés, les sans domicile fixe, les sans droits... Bien que l’on puisse toujours en discuter sur le plan de la théorie sociologique, pour les travailleurs, la notion d’underclass, de sous-classe, a du sens. Elle signifie qu’en dessous de la stratification et des inégalités acceptables, se tiennent tous ceux qui ne sont plus dans la société, ceux qui ne sont plus exploités ou plus exploitables. Là se cristallise une frontière intérieure, un fossé dans lequel le travail empêche de tomber.

Les injustices et l’action individuelle ou collective

Les sentiments d’injustice se développent dans trois espaces sociaux relativement distincts : celui des conditions de travail, celui des clivages tenant aux conditions d’accès à l’emploi, et celui d’un espace borné par une super élite peu visible et toute puissante, et par des exclus perçus simultanément comme des victimes et comme un danger. Ces trois grands cadres de formation des sentiments d’injustice expliquent l’extrême difficulté de la transformation du sentiment d’injustice en action car ce ne sont ni les mêmes représentations, ni les mêmes cadres d’action qui sont en jeu à chacun de ces niveaux. Les mobilisations collectives passent par une multitude de canaux que les mêmes individus peuvent emprunter tour à tour.

L’un d’entre eux est une disposition altruiste, une indignation mobilisée par les organisations philanthropiques et les organisations non gouvernementales recueillant les dons et les engagements ponctuels pour les causes les plus sensibles et les mieux exposées à la compassion. Le second vecteur de l’action est celui des groupes de pression qui associent une critique culturelle à une volonté démocratique en luttant contre les discriminations. Même si ces acteurs peuvent sembler faibles, ils sont relativement efficaces en termes de mobilisation car ils finissent par imposer la représentation de l’égalité qui domine aujourd’hui, celle de l’égalité des chances et des opportunités. Enfin, les luttes syndicales relaient bien des sentiments d’injustice, notamment quand elles dénoncent les licenciements et les fermetures d’entreprises dont on peut penser qu’elles sont viables et performantes. Elles dénoncent aussi les licenciements abusifs, le non-respect des conventions et les salaires trop faibles. Les combats syndicaux jouent donc un rôle considérable. Mais, en même temps, ils restent centrés sur la défense des acquis et du secteur public, des professions et des secteurs les plus puissants. Dans ce cas, un grand nombre d’injustices leur échappent et bien des travailleurs interrogés pensent que ces luttes entérinent des inégalités profondes car elles ne défendent que ceux qui ont la capacité de se défendre, dessinant un terrain social composé de corporatismes aussi forts que dispersés.

Le caractère flottant et dynamique des jugements de justice n’interdit pas de rechercher des configurations plus stables des sentiments de justice. Mais pour les établir, il faut introduire des variables extérieures aux principes de justice eux-mêmes, des variables tenant aux représentations de l’état moral de la société et aux représentations des changements qui menacent la nation conçue comme un espace culturel et politique relativement intégré. Dans ce cas, les sentiments de justice se détachent des contextes de travail et sont commandés par une vision de la nation et du changement social. C’est donc à un niveau plus politique que les jugements se stabilisent sans affecter directement les jugements des individus tels qu’ils se forment au plus près de leur expérience de travail. Les grandes mobilisations sociales semblent marquées par un glissement des luttes proprement sociales vers un terrain national. Les grèves de 1995 comme les débats provoqués par le référendum de mai 2005 montrent à quel point la défense d’un modèle national républicain recouvre la lutte pour la justice dans le travail. Face à la globalisation des économies, face à l’éloignement des élites dirigeantes, à l’affaiblissement de la capacité de l’État national de maîtriser l’économie, se dessine l’appel à un État capable de refonder des rapports sociaux alors qu’ils se dissolvent dans un espace que plus personne ne semble contrôler. C’est dans la nation retrouvée, dans la République, que l’on veut réassocier le capitalisme et la société comme ce fut longtemps le cas dans la société industrielle.

La dynamique critique

L’égalité, le mérite et l’autonomie forment un ensemble de principes fortement intégrés et attachés par des liens nécessaires : notre égalité vient de ce que nous sommes également libres et notre mérite n’est juste que dans la seule mesure où nous sommes libres et égaux. Or, les jugements de justice se constituent entre des principes autonomes et contradictoires. La polyarchie des principes de justice engendre une dynamique, un système de plaintes organisé selon une logique circulaire de dénonciations et de critiques. Non seulement la réalisation d’un principe de justice est difficile, mais le fait même qu’il soit satisfait entraîne automatiquement que les deux autres ne le soient pas. Ainsi, quelle que soit leur situation, les acteurs avancent comme des équilibristes tombant dès qu’ils cessent de se mouvoir.

Du point de vue d’une « cognition morale », la pluralité des principes de justice développe un mécanisme propre faisant que les acteurs sociaux se saisissent du monde par la critique plus que par l’adhésion, la critique n’est jamais en repos, tout va mal et de plus en plus mal. Même si cette analyse est loin d’être suffisante, elle explique pourquoi les sondages d’opinion sur l’état de la société sont fatalement pessimistes et négatifs alors même que les faits n’étayent pas toujours ces jugements ; la société va toujours plus mal que les individus qui la jugent. Pour le dire plus simplement, ce processus critique fait qu’il n’y a jamais de raison d’être pleinement satisfait. Si l’on peut parfois imaginer des ordres justes partiels dans l’équipe, dans le cercle restreint des relations de travail, il semble qu’aucun d’entre eux ne soit en mesure de s’élever jusqu’à l’image d’une société juste. Cependant, si la mécanique des sentiments de justice accélère la critique, elle la refroidit aussi et les jugements se neutralisent en chacun de nous.

D’abord, tout principe de justice légitime des positions et bien des travailleurs pensent que les inégalités dont ils bénéficient sont parfaitement justes. Ils ont plus de mérite, ils sont plus utiles au fonctionnement de la société, leurs avantages ont été arrachés par des luttes et, dès lors, la défense des positions inégales est perçue comme juste. Les patrons ont pris des risques, les enseignants ont passé des concours difficiles, les cheminots incarnent l’intérêt public, les militaires, la sécurité de la nation, les médecins, un bien supérieur, les intermittents du spectacle, la vitalité créative de la nation, les cadres, la compétitivité de l’économie. Quant à ceux qui souffrent, leur souffrance elle-même justifie les petites inégalités dont ils bénéficient ; en défendant l’imaginaire d’une société nationale intégrée et menacée par les étrangers, ils s’arc-boutent sur la dernière inégalité dont ils pensent bénéficier.

Autre mécanisme de refroidissement : la distinction des injustices et de leurs victimes. Les individus s’interrogent souvent de manière profonde sur les véritables causes des injustices. Or, celles-ci ne sont pas toujours perçues comme étant sociales et donc, comme étant des causes sur lesquelles il est possible d’agir.

L’idée qu’il y aura toujours des injustices s’impose comme une évidence. Même si nous sommes tous égaux en droit, il semble clair que nous ne le sommes pas tous en fait et qu’une grande loterie a distribué inégalement la force, la beauté, l’intelligence, le talent, le courage, la vertu, etc. Et, plus on pense que l’égalité est l’égalité des chances, plus on se heurte à cette évidence sur laquelle il semble impossible d’agir.

Plus encore, l’anthropologie morale spontanée des individus n’est pas nécessairement optimiste. Sous des formes plus ou moins profanes, plus ou moins rationalisées avec la croyance latente dans les effets pervers de tout changement, subsiste l’idée de péché originel. Si les hommes ne sont pas bons, si les victimes peuvent être aussi méchantes que les bourreaux, l’excès de plainte devient suspect.

A-t-on le droit de se plaindre ?

L’effet de l’élargissement du monde par le spectacle des médias met les injustices en concurrence et bien des individus savent qu’ils vivent dans une société riche et dans un milieu relativement protégé. Dans ce cas, le droit de se plaindre n’est pas assuré et l’on a vu que beaucoup de travailleurs aménagent leurs critiques quand ils se
comparent aux plus démunis et aux autres peuples. Parfois même, un soupçon d’égoïsme pèse sur ceux qui se plaignent trop. Plus efficacement encore, le principe d’autonomie annule la légitimité de bien des plaintes. Quand nous voulons être libres et responsables de notre sort, il nous est intolérable de nous percevoir nous-mêmes comme de simples victimes. En ce sens, le principe d’autonomie et, dans une moindre mesure, celui du mérite atténuent sensiblement la compassion pour les victimes et l’indignation devant leur sort.

En dénonçant les injustices, les acteurs sont tenus de distinguer les personnes et les positions, les intentions de nuire et les mécanismes sociaux objectifs. Or, il peut y avoir beaucoup de distance entre ces deux ordres d’attribution des causes du malheur. Quand les injustices ne sont attribuées qu’aux personnes, les causes du malheur transforment le monde du travail en monde privé, tout est affaire de relations et de personnalités et les injustices ne débordent pas de cet espace. Quand les injustices sont attribuées au seul système, elles deviennent sans cause, en tout cas, sans causes sur lesquelles on puisse agir. On peut toujours prendre la pose, affirmer ce que serait une société juste et dire à quel point la nôtre est mauvaise. Sur ce dernier point, les travailleurs qui ont parlé dans cette recherche l’ont fait mieux que nous.

Tous les principes de justice finissant par être cruels, la société juste est celle qui permet aux travailleurs de se constituer comme des sujets capables de dire où est leur dignité, comment se forge une vie bonne et acceptable, des sujets capables de résister à l’enchaînement des injustices. Ainsi, la bonne société n’est pas la société juste, c’est la société la moins injuste possible parce qu’elle permet aux individus de combiner des principes contradictoires dans leur propre subjectivité. Sans jamais y parvenir probablement, elle doit leur permettre de résister aux effets destructeurs des injustices.

Recherches dirigées par François Dubet, professeur de sociologie à l’université de Bordeaux 2, directeur d’études à l’EHESS, avec Valérie Caillet, maître de conférences à l’IUFM de Versailles, Régis Cortéséro, docteur en sociologie, David Mélo, maître de conférences à l’université d’Orléans, Françoise Rault, docteur en sociologie, professeur agrégé au lycée Hoche de Versailles.

Extrait de La lettre de la Mire n° 9-avril 2006, publication de la Drees.

De cette recherche est issu Injustices. L’expérience des inégalités au travail, éditions du Seuil, mars 2006.

Texte extrait de La lettre de la Mire (Mission Recherche de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques)

Photo / Clem Onojeghuo Unsplash


[1Quand ils sont invités à décrire une situation ou une relation de travail perçue comme injuste, les acteurs mobilisent trois principes de justice : le principe de l’égalité élémentaire entre les individus n’est pas respecté, soit leur mérite n’est pas reconnu et le travail n’est pas rétribué à sa juste valeur, soit enfin le principe d’autonomie selon lequel il est injuste d’imposer un travail destructeur ou aliénant. Ces trois principes de justice sont fondés sur les diverses dimensions de l’expérience de travail et on les retrouve aussi dans la plupart des théories de la justice.

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Date de première rédaction le 20 septembre 2006.
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